Le pèle-porc

Fin décembre et janvier étaient la période la plus agréable de l'année : le pèle-porc. Dès le petit matin, l'eau était mise à chauffer dans le grand chaudron suspendu à la crémaillère dans la cheminée. Tous les intruments et ustensiles, cordes et "bimens", "khügna", "bassiot" et caisse de tombereau avaient été soigneusement préparés la veille et installés. Les voisins arrivaient, chacun avec leur couteau. Le chef de famille rentrait dans la porcherie, attachait une corde à une patte avant du cochon, une autre à une patte arrière et lui passait un noeud coulant à la mâchoire supérieure. Le cochon, qui poussait des hurlements stridents à réveiller tout le quartier, était tiré et renversé sur la caisse retournée du tombereau. Il y était solidement maintenu par les nombreux assistants. Un coup de couteau bien ajusté et le sang jaillissait dans une cuvette que la mère de famille tenait d'une main ferme, l'autre agitant le sang avec un bâtonnet. Puis c'était le casse-croûte bien mérité pour se remettre de ces émotions. Le porc, sous lequel étaient disposées deux chaînes, était mis sur le ventre dans une auge en bois (bassiot ou aska). Deux hommes allaient alors chercher le chaudron d'eau bouillante et la versaient sur le dos du cochon. Très rapidement et précautionneusement, quatre hommes manoeuvraient les chaînes de manière à retourner deux fois le cochon et le laisser le ventre en l'air. Là, commençait un travail ingrat : il s'agissait de raser avec soin l'animal. Les soies étaient mises de côté pour le ramasseur de peaux et le cochon était rincé. Il était suspendu par une corde que l'on enroulait dans le cylindre du "kügna" (rôle d'une poulie). Le porc était éviscéré : les femmes se chargeaient de nettoyer les boyaux au ruisseau, les hommes s'occupaient des abats (foie, coeur et poumons), nettoyaient pieds et oreilles et fendaient la tête. Le porc était encore rincé puis on le laissait sécher et reposer jusqu'au lendemain matin, suspendu au plafond de la grange, du couloir de la maison ou sous la galerie, une baguette écartant les deux côtés de la poitrine. La tête, les oreilles, le coeur et les poumons étaient mis à cuire dans le grand chaudron d'eau bouillante.Un repas copieux réunissait tout le monde dans une joyeuse ambiance. L'après-midi, les chairs étaient détachées des os de la tête et hachées au couteau ainsi que les oreilles, le coeur et les poumons. A cette viande, on ajoutait le sang et des poireaux et oignons finement hachés. Le tout était malaxé et assaisonné de sel, poivre et piment. On en remplissait les boyaux du gros intestin coupés à la bonne longueur et soigneusement cousus à une extrémité. L'autre extrémité était fermée au moyen d'une jeune tige d'osier épointée et brûlée au feu (bimens). Tous les boudins étaient mis à cuire dans l'eau de la cuisson précédente, à feu doux. De temps en temps, on les piquait avec une aiguille pour éviter qu'ils n'éclatent. La cuisson terminée, ils étaient délicatement posés sur une table jusqu'à complet refroidissement, puis suspendus à une barre en bois au plafond de la cuisine-salle à manger.

Le lendemain, le porc était découpé. Jambons, épaules, plats de côtes, longes, filets, poitrine, pieds, queue et les "os" étaient mis à saler dans l'auge. On hachait la chair à pâté et celle des saucisses au hachoir et on les assaisonnait.

Le troisième jour, on mettait le pâté en bocaux qui étaient ensuite stérilisés, on confectionnait les saucisses qui étaient mises à sécher sur une barre et on découpait la panne en petits dés.

Le quatrième jour, lorsque la panne était fondue dans le chaudron, on y mettait les morceaux de longes, filets et plats de côtes à cuire à feu doux, après les avoir rincés et séchés. Une fois cuits, ils étaient mis dans des pots de grès recouverts de graisse. Les fragments de viande restant au fond du chaudron étaient hachés et assaisonnés et constituaient les rillettes (ou graisserons) qui étaient mises en bocaux. La viande et autres résidus de cuisson qui avaient attachés au fond du chaudron étaient délayés avec du lait pour obtenir la broye.

Les jambons et les épaules étaient lavés, séchés, enduits de piment rouge et suspendus au plafond. Les ventrèches étaient suspendues elles aussi, après avoir été lavées et séchées. Pieds, queue et "os" étaient bouillis et consommés, soit avec de la sauce tomate, soit en omelette ou à la vinaigrette. Une fois secs, les jambons étaient mis à la cendre dans un coffre en bois avant d'être dégustés en été et automne.

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